Le
poème lyrique
À partir du XVIIIe siècle,
en liaison avec l'importance grandissante accordée à la
sensibilité, la poésie est dite lyrique si elle cherche
à exprimer les sentiments intimes du poète par des rythmes
et des images.
Si on peut trouver une poésie lyrique arabe, chinoise ou biblique,
le terme désigne avant tout une expérience occidentale
et moderne : faire coïncider une expression (des mots) et une impression
(un sentiment, une émotion) au moyen d'une musique poétique
et phonique.
Les premières manifestations du
lyrisme en Occident remontent à la Grèce antique, aux
alentours du VIIe siècle av. J.-C. Premiers auteurs: Théognis
de Mégare et Mimnerme de Colophon (lyrisme apparenté à
la tradition épique), Archiloque et Sapho (lyrisme plus personnel).
Le lyrisme a évolué à
travers les siècles, tantôt triomphant (par exemple, au
Moyen Âge avec les troubadours), tantôt éclipsé
par d'autres genres littéraires (par exemple, au XVIIe siècle
en France). Il existe encore de nos jours.
En France, après une période
dominée par la poésie dite formaliste, on assiste à
un retour significatif de la poésie lyrique. Les poètes
de cette nouvelle vague se réclament volontiers de grands lyriques
comme Rilke ou Hölderlin. Parmi ces poètes, on retrouve:
Yves Bonnefoy, Jacques Dupin, André du Bouchet, Claude Vigée,
Hubert Juin, etc. Au Québec, la poésie lyrique compte
plusieurs représentants: Gaston Miron, Jacques Brault, Claude
Beausoleil, etc.
L'émergence de la poésie
lyrique dans une littérature coïncide avec la prise de conscience
de la valeur de l'individu.
Les genres littéraires comme l'hymne et
l'épopée, qui témoignent d'une conscience
collective, cèdent alors la place à cette nouvelle forme
d'expression. La poésie lyrique est un signe d'évolution
dans une littérature. On la trouve entre autres dans
les littératures européennes, chinoises, japonaises et
arabes et américaines.
Auteurs
et oeuvres.
Pindare (-518 à v. -438), Épinicies.
Horace (-65 à -8), Odes.
Dante (1265-1321), La Vita Nuova.
Pétrarque (1304-1374), Canzoniere.
Hölderlin (1770-1843), Poèmes.
Lamartine, Les Méditations poétiques.
Shelley (1792-1822), À une alouette.
Victor Hugo, Les Contemplations.
Alfred de Musset, Les Nuits.
Walter Whitman (1819-1892), Les Feuilles d'herbe.
Rainer Maria Rilke (1875-1926), Élégies de Duino.
Apollinaire, Alcools.
Aragon, Les Yeux d'Elsa.
Alain Grandbois, Les Îles de la nuit.
Pablo Neruda (1904-1973), Chant général.
Aimé Césaire (1913), Cahier d'un retour au pays natal.
Gaston Miron, L'Homme rapaillé.
Le poème lyrique se présente
comme le lieu par excellence du JE, qui y manifeste sa relation au monde,
à la nature, à l'Autre.
Variations sur les thèmes de l'amour et de la mort, de la joie
et de la douleur.
La poésie lyrique garde, à travers toute son évolution,
la même visée radicale: atteindre un au-delà du
monde, un absolu.
Le poète cherche, par des textes de forme savante ou populaire,
à donner une portée plus grande à son expérience
individuelle, à transcender sa condition d'être humain.
Le lyrisme s'épanouit dans une société et dans
une littérature qui accordent une grande importance à
l'individu, à sa liberté d'expression et de passions.
Il s'accommode mal des règles et des lois de la raison.
Ainsi, il n'est pas étonnant qu'en France, aux XVIIe et XVIIIe
siècles, il n'y ait pratiquement pas eu de poètes lyriques:
la doctrine classique avait complètement étouffé
le lyrisme.
C'est la Révolution française qui a fait renaître
le lyrisme en faisant tomber les dogmes classiques et en annulant les
hiérarchies; l'individu reprenait alors une place de premier
plan.
Le rôle et le statut du poète lyrique changent d'une époque
à l'autre et d'une société à l'autre. Dans
l'antiquité, en Grèce et à Rome, le poète
est engagé dans la vie de la communauté à laquelle
il appartient.
Il est sur la place publique et s'adresse directement à ses contemporains,
il en est le porte-parole, le guide spirituel; il jouit d'un grand prestige,
on le comble d'honneurs (ex.: Pindare).
Au moyen âge, le poète lyrique occupe aussi une place de
choix: il est au service des seigneurs, il écrit pour divertir
une élite oisive. Mais il n'a pas toujours une situation aussi
favorable.
Par exemple, au XIXe siècle, en France, il devient un solitaire,
un exilé, un homme qui vit hors du monde, dans la pauvreté:
c'est le poète maudit.
Il occupe une place à part et n'est au service de personne (ex.:
Baudelaire, Verlaine, Rimbaud).
Encore de nos jours, le poète lyrique est refoulé dans
les marges. Le rôle qu'il joue dans la société est
considéré comme négligeable, insignifiant.
Origines.
La poésie lyrique est issue des
prières et des hymnes religieux.
À ses débuts, elle avait pour fonction d'exprimer les
sentiments d'un groupe, d'une collectivité.
Elle était alors très proche de la musique, du chant.
Quelques-unes des plus anciennes formes du lyrisme grec étaient
des chants choraux: leur objet était la célébration
des dieux, mais aussi et surtout des héros, des événements
qui ont marqué la collectivité (ex.: les odes de Pindare,
composées plus tard).
À travers cette célébration, c'étaient les
valeurs qui régissaient la collectivité que l'on exaltait.
Les textes étaient donc empreints de morale, de sagesse.
Le lyrisme a beaucoup évolué
par la suite, autant dans le contenu que dans la forme.
Il est devenu plus personnel, il s'est mis à exprimer les sentiments
de l'individu. Sapho compte parmi les premiers poètes à
avoir donner une place centrale aux événements intimes
de l'individu. Mais son lyrisme gardait quand même un caractère
collectif: le poète, en parlant de lui-même, de ce qu'il
vit, parlait au nom des autres.
Ce caractère collectif, omniprésent au début, va
disparaître petit à petit au fil des siècles, réapparaissant
à l'occasion, par exemple, de bouleversements politiques et sociaux
(pensons à la Révolution tranquille au Québec).
Le texte lyrique varie
dans son contenu au gré des auteurs et des époques: il
peut être philosophique ou métaphysique (interrogations
sur l'être et sa présence au monde) comme chez Hölderlin
ou Grandbois, sensuel, en prise sur les sensations, sur la réalité
concrète comme chez Horace ou Apollinaire, onirique comme chez
Nerval, engagé socialement comme chez Miron, etc.
La forme que prend le texte lyrique est elle aussi très
variable: chanson (couplets et refrain), sonnet, poème en vers
réguliers, poème en vers libres, etc. Mais, à travers
cette grande diversité de formes, le but de la poésie
lyrique reste le même: exprimer les sentiments de l'individu,
une vision du monde unique par un travail sur la langue, sur le rythme
et les sonorités.