Parler de « littérature
française » pose un double problème : celui du
fait littéraire et celui de la langue française.
Or, le terme « littérature » avec l'acception que
nous lui donnons aujourd'hui ne s'applique qu'avec la plus mauvaise
grâce aux pratiques antérieures au XIXe siècle.
Au Moyen Âge, ces pratiques étaient essentiellement anonymes,
issues de la tradition (ce n'est pas un individu singulier, mais toute
la communauté qui se chante dans les vers des jongleurs) et
marquées par le pouvoir de la musique (elles étaient
non seulement chantées mais surtout ordonnées par le
souci d'une harmonie cosmique autant que collective).
Du XVe au XVIIIe siècle, la « littérature »
émergea lentement : la notion d'auteur se constitua en liaison
avec le développement de l'individu ; l'innovation fut recherchée,
en liaison avec la nouvelle ordonnance des temps (non plus le passé
de la tradition, mais l'autoconstitution de la société
en son avenir) ; ce fut la fin de la musique, ramenée d'abord
à une simple technique instrumentale, puis soumise à
l'ordre du regard (on ne chante plus l'ordre du monde, on veut «
donner à voir » les états de la nature et de la
société) ; le statut d'écrivain s'institutionnalisa
et se professionnalisa, en liaison avec le développement de
l'État et des académies ; les contenus psychologiques
ressortirent au discours des passions et aux manières de faire
collectives, en liaison avec le développement du sujet réflexif
de la philosophie ou des arts de civilité, par lesquels on
tentait de conférer une norme à des existences qu'on
ne sentait plus soumises à un ordre reçu de tout temps
; enfin apparut une ouverture sur le langage lui-même, dans
la mesure où celui-ci s'était dissocié de la
voix et n'apparaissait plus que comme un code avec lequel on pouvait
jouer.
L'autre point concerne la langue française elle-même
: comme toutes les autres langues dites « vulgaires », elle
ne conquit laborieusement ses privilèges qu'en gagnant sur
le latin, langue savante et langue de l'Église. Le français,
langue de cour, devint aussi langue de l'administration royale et
participa à l'émergence de la nation française.
La « littérature française » ne trouva vraiment
son premier point d'ancrage qu'au moment où l'État parvint
à s'imposer comme le nouveau garant de l'ordre social et de
l'unité nationale à la fin du XVIIe siècle, et
sa stature définitive qu'après la Révolution
française, moment où elle entra à l'Université.
La littérature française
connut donc une lente émergence, puis se constitua et acquit
une relative autonomie à partir du XIXe siècle, avant
d'être plus récemment remise en cause.
Au Moyen
Âge:
La littérature se compose de
textes écrits en latin ou dans les langues vulgaires. En France,
c'est au XIIIe siècle que la langue vulgaire l'emporta nettement
sur le latin dans l'ensemble des styles littéraires.
On peut distinguer une littérature " sérieuse " et une
littérature d'imagination.
La littérature " sérieuse " regroupe les traités
scientifiques, théologiques et philosophiques (catégorie
revivifiée aux XIIe et XIIIe siècles par la redécouverte
d'Aristote et de ses commentateurs arabes, et qui revêtit souvent
la forme de poèmes didactiques), l'histoire (qui s'exprima
en langue vulgaire pour la première fois en Normandie, au XIIe
siècle), l'hagiographie (récits de vies de saints),
certaines formes de poésie (poésie liturgique : séquences,
tropes ; poésie de lamentation : les planctus) et de théâtre
(les Passions).
La littérature d'imagination avait disparu avec l'effondrement
du monde antique ; le Xe siècle la réinventa. Elle comprend
en premier lieu la poésie lyrique, en latin (en vers classiques
ou dans une création originale du Moyen Âge, les vers
rythmiques) ou dans les langues vulgaires ; elle est représentée
par les troubadours occitans, apparus au XIe siècle (ils influencèrent
l'Italien Dante Alighieri), les trouvères français,
les Minnesänger allemands, et les grands poètes lyriques
des XIVe et XVe siècles : Guillaume de Machaut, Alain Chartier,
Christine de Pisan, François Villon.
La littérature médiévale
est marquée par son rapport étroit à la mémoire,
à la voix (elle était souvent déclamée)
et à la musique.
Le roman connut trois grandes
sources d'inspiration : l'imitation de l'Antiquité (Roman de
Thèbes), l'allégorie animale et parodique (Roman de
Renart), ou courtoise (Roman de la Rose), la " matière de Bretagne
" (Chrestien de Troyes, Marie de France).
Il se distingue du genre de la chanson de geste (Chanson de Roland)
et des grandes épopées nationales telles que les eddas
scandinaves, les sagas islandaises, le Kalévala finlandais,
le Beowulf anglais, les Mabinogion gallois ou le Nibelungenlied allemand.
C'est dans l'Italie du XIVe siècle qu'apparut un nouvel humanisme
(Boccace, Pétrarque), qui portait en germe la littérature
de la Renaissance.
Du
XIIe au XVe siècle:
La langue française entra en
littérature en même temps que le pouvoir s'unifiait dans
la royauté.
Les Serments de Strasbourg (842) furent la première légitimation
de la « langue vulgaire » ; la Séquence de sainte
Eulalie (IXe siècle) en fut le premier texte « littéraire
». La naissance d'une littérature nationale s'accompagna
aussi d'une conscience de l'histoire et d'une différenciation
des genres : ce fut une « invention de la perspective »
contemporaine de celle de la perspective picturale dans
la mesure où les passés s'échelonnaient désormais
selon un ordre disjoint du présent, alors que la Tradition
ramassait auparavant tout le passé dans le présent.
Aux
XIIe et XIIIe siècles:
Deux grands genres versifiés
célébraient l'ordre féodal : l'épopée,
avec la chanson de geste, dont le chef-d'uvre est la Chanson
de Roland, et la littérature courtoise : « fin amor »
des troubadours et trouvères, romans antiques ou bretons (Tristan
et Iseut), textes de Chrétien de Troyes.
En contrepoint se développa une littérature satirique
que l'on peut dire « anticourtoise » (Roman de Renart, fabliaux).
Le XIIIe siècle fut celui
de la naissance d'une poésie personnelle (Rutebeuf), et surtout
de la rapide expansion de la prose, qui apparut comme le discours
de la vérité une et de l'histoire
(Aucassin et Nicolette, Chroniques de Jean de Joinville).
Les XIVe
et XVe siècles:
Secoués par la guerre de Cent
Ans et le marasme économique, évoluèrent vers
davantage encore de spécification : le théâtre
distingua nettement ses domaines, religieux (miracles et mystères)
et profane (sotties, farces) ; l'histoire (Froissart, Commynes) sortit
du légendaire ; la poésie se codifia strictement (Arts
de rhétorique) et une inventivité spécifique
naquit au sein des contraintes formelles (les grands rhétoriqueurs).
Un nouveau goût pour le récit et pour l'instabilité
du sujet témoigna d'un autre rapport au temps : le lyrisme
ne fut plus fondé sur le chant, comme encore chez Guillaume
de Machaut, mais sur le sentiment et le « moi » (Eustache
Deschamps, Charles d'Orléans), et l'écrit apparut comme
une résistance à la mort (François Villon).
Le
XVIe siècle:
Par ses convulsions mêmes (guerres
d'Italie, guerres de Religion), le XVIe siècle apparaît
en quête d'identité et de définition. L'ordonnance
de Villers-Cotterêts (1539) consacra le français comme
langue nationale, et l'imprimerie permit la diffusion de l'écrit.
La quête était pourtant ambiguë : la Renaissance
était tout autant un renouveau de l'esprit qu'un retour à
la fois à la littéralité de la Bible, Écriture
divine, et aux lettres plus « humaines » de l'Antiquité
; ce fut l'humanisme.
La division de l'Église manifesta vite la relativité
de ce retour à l'homme et à la lettre : la Réforme,
plaçant l'homme sous le regard immédiat de Dieu, se
distinguait radicalement de l'humanisme, enthousiaste et totalisant.
Gargantua et Pantagruel, les deux voraces géants de Rabelais,
symbolisent le premier humanisme optimiste.
Avec les grands rhétoriqueurs, puis Clément Marot, la
littérature devint une exaltation, souvent ludique, de la langue.
Peu à peu, cependant, l'humanisme se fit sérieux et
savant. Après les poètes de l'école lyonnaise,
platoniciens et pétrarquistes (Maurice Scève, Louise
Labé), ceux de la Pléiade, autour de Pierre de Ronsard
et de Joachim du Bellay, travaillèrent à une «
défense et illustration de la langue française »
; la littérature s'engagea dans la lutte religieuse (Agrippa
d'Aubigné) ; le théâtre chercha sa voie entre
tradition et innovation (Étienne Jodelle, Robert Garnier).
Dans ce double mouvement de
retour et de création, le XVIe siècle resituait l'homme
dans un univers dont, depuis la révolution copernicienne,
il n'était plus le centre. Montaigne, dans ses Essais, se
fit l'écho de cette inquiétude de l'« humaine
condition ».
Le XVIIe
siècle;
Ce fut dans l'éclat du Roi-Soleil
que s'édifia le mythe du « Grand Siècle ».
Mais le XVIIe siècle, en réalité, fut double
: s'y distinguent deux grandes périodes, le « siècle
de Louis XIII » et le « siècle de Louis XIV »
(1661-1715), apogée de la monarchie absolue ; deux esthétiques
s'y combattirent : le baroque, marqué par le goût de
l'instabilité et de l'illusion, et le classicisme, quête
de l'équilibre par la raison.
Mais la coexistence des deux courants demeura sensible du début
à la fin du siècle.
La fondation de l'Académie française (1635) consacra
l'effort de codification et d'épuration de la langue française
en même temps qu'elle affirmait le contrôle de l'État
sur la production littéraire.
Le siècle de Louis XIII fut caractérisé par un
foisonnement d'uvres et de formes : poésie « classique
» (Malherbe) ou « baroque » (Théophile de Viau,
Saint-Amant), roman « d'amour » (Honoré d'Urfé,
MLLe de Scudéry) ou « comique » (Sorel, Scarron),
pièces « à machines » ou pastorales. Les libertins
prônaient alors la liberté des murs et de la pensée,
avant que Descartes ne vît dans la raison, et Pascal, dans la
foi les seuls instruments de la connaissance.
Le classicisme, avec ses exigences de vraisemblance et de bienséance,
parut l'emporter sous Louis XIV. Le théâtre, désormais
rigoureusement « réglé », en fit triompher
l'esthétique.
Mais Corneille donna aussi un chef-d'uvre baroque (l'Illusion
comique, 1636) ; Molière eut recours, à l'occasion,
au mélange des genres et aux artifices, et un « je ne
sais quoi » troublait la rigueur de la tragédie racinienne.
La poésie de La Fontaine voulait « plaire » autant
qu'« instruire », l'éloquence de Bossuet s'emportait
en visions baroques, et le roman d'analyse (MMe de La Fayette) s'inventait,
au moment où séduisait le merveilleux des Contes de
Perrault.
L'équilibre se rompit
pourtant à la fin du règne de Louis XIV, avec la querelle
des Anciens et des Modernes. Bayle et Fontenelle achevèrent
de mettre en doute l'idée de tradition et promurent, de façon
définitive,
l'idée d'une littérature nationale de grande valeur.
Le XVIIIe
siècle:
Le siècle des Lumières
fut celui de la mort des rois : les Lumières étaient
celles de la raison opposée à l'obscurantisme des despotes.
Ce fut le triomphe du Philosophe et « l'invention de la Liberté
» comme Idée, dans l'ordre politique, moral, social et
économique. Il n'y eut pourtant pas une doctrine des Lumières,
pas plus qu'il ne conviendrait d'opposer la « raison » au
« sentiment ».
Si l'optimisme des philosophes s'éteignit vers 1775, alors
que s'achevait la période de prospérité économique,
le courant sensible traversa en réalité tout le siècle,
de Manon Lescaut de l'abbé Prévost à Paul et
Virginie de Bernardin de Saint-Pierre.
Il paraît donc plus juste de distinguer trois générations
de philosophes.
- La première, d'origine aristocratique et symbolisée
par Montesquieu, ne remettait pas en cause le système monarchique,
mais visait à le tempérer.
Pourtant, dès les Lettres persanes (1721), l'écrivain
dut ruser avec la censure.
Le déguisement, ressort dramatique du théâtre
de Marivaux, devint une nécessité de la pensée.
Il justifia aussi, tout au long du siècle, l'existence d'une
littérature parallèle, libertine (Choderlos de Laclos)
ou « noire » (Sade).
- La deuxième génération des philosophes fut
« bourgeoise » : représentée par Voltaire
et Diderot, elle était en fait dominée par la grande
entreprise collective du siècle, l'Encyclopédie, bilan
des connaissances et véhicule d'un matérialisme progressiste.
Diderot, maître d'uvre de l'ouvrage avec D'Alembert, fut
aussi l'initiateur d'une théorie esthétique qui, avec
le « drame bourgeois » notamment, devait garantir une représentation
adéquate de la réalité.
- Rousseau incarna à lui seul la troisième génération,
plus ouvertement politique et révolutionnaire : le Contrat
social (1762) proposa un modèle démocratique.
Mais ses Confessions marquèrent aussi la promotion d'un «
moi » assumé.
Et ce fut l'individu, seul contre un ordre social injuste, que Beaumarchais
mit en scène dans le sulfureux Mariage de Figaro (1788).
Le XVIIIe siècle ne fit
pas la part belle aux poètes. Mais les discours des révolutionnaires
(Robespierre, Saint-Just) lancèrent
les derniers feux des Lumières.
Au
début du XIXe siècle:
Une nouvelle conception esthétique
déferle sur l'Europe ; ses écrivains, ses artistes,
ses musiciens vont se ranger sous la bannière romantique.
Avec des nuances selon les cultures nationales, les mêmes thèmes
se retrouvent dans leurs drames, leurs poèmes, leurs tableaux,
leurs symphonies...
Tous partagent la même attitude : ils repoussent le classicisme
et refusent tout compromis avec le rationalisme. Leur émotion
embrasse la nature et leur révolte les soutient face à
la société. En privilégiant l'imagination et
la sensibilité, les romantiques ont placé dans leur
sillage toute l'esthétique moderne.
La littérature, la musique et les beaux-arts européens
s'ouvrirent, dès la fin du XVIIIe siècle, à une
sensibilité nouvelle qui exaltait la vision subjective de l'individu.
En Angleterre, le rêve, la nostalgie et l'aspiration mystique
inspirèrent deux précurseurs du romantisme, le Suisse
Johann Heinrich Füssli (1741-1825), qui se fixa à Londres,
et son ami William Blake (1757-1827), poète et peintre visionnaire.
Poètes, musiciens, peintres,
sculpteurs et architectes cherchèrent, dans l'imagination et
la sensibilité, les voies d'une connaissance nouvelle, qui
devait permettre au « moi » d'atteindre une vision globale
du monde et de la nature.
Le
XIXe siècle:
Après la Révolution, le
XIXe siècle fut celui des révolutions (1830, 1848) et
des changements de régime, avant que la France, entrant dans
l'ère industrielle et moderne, ne s'engageât définitivement
dans la voie républicaine.
Mais ce fut dans un climat nostalgique du mythe napoléonien
que s'éveillèrent les « enfants du siècle
» en proie au « vague des passions » (Chateaubriand).
Ce « mal du siècle » fut l'expression originelle
du courant littéraire qui irrigua toute la période,
le romantisme : réaction lyrique au classicisme et à
ses règles, il mettait au premier plan un « moi »
déchiré.
La génération de 1830,
celle de l'exaltation du romantisme, fut d'abord celle des poètes
: Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Victor Hugo. Puis le roman, «
miroir promené » le long du siècle, fit l'analyse
lucide des passions (Stendhal) et des « illusions perdues »
(Balzac).
Victor Hugo (1802-1885), géant
prolifique dans tous les genres, est devenu le symbole de ce romantisme,
engageant son uvre dans le siècle comme une mission inspirée.
En 1857, la censure du
second Empire condamna pour immoralité Madame Bovary et les
Fleurs du mal, deux uvres phares qui témoignent du radicalisme
d'une double orientation esthétique. Pour Gustave Flaubert,
« rien n'est beau que le vrai » c'est le réalisme
; pour Charles Baudelaire, le beau est « bizarre »
c'est la poésie de la vie moderne.
Le réalisme s'exacerba dans les années 1880 en un naturalisme
« scientifique » : Zola en systématisa l'expérience
dans la série des Rougon-Macquart, tandis que Maupassant s'échappait
vers le fantastique.
Au moment où les Parnassiens codifiaient la poésie,
Baudelaire inaugurait la lignée des poètes modernes,
« maudits », que le poète soit « voyant »
(Rimbaud) ou « saturnien » (Verlaine).
La fin du siècle fut antinaturaliste.
La poésie, après s'être confusément cherchée
dans la « décadence » (Jules Laforgue), trouva l'idéalisme
d'une quête absolue : Stéphane Mallarmé fut la
figure de proue du mouvement symboliste qui gagna le théâtre
(Maurice Maeterlinck) jusqu'à la provocation d'Ubu (Alfred
Jarry). L'affaire Dreyfus, quant à elle, posa la question de
l'engagement de l'écrivain (Zola : J'accuse, 1898).
Le romantisme fut un mouvement littéraire plus qu'une école,
même si la volonté pédagogique n'en était
pas absente.
La principale caractéristique de ce mouvement fut d'être
transnational et européen, puisqu'il est représenté
en Angleterre, en Allemagne, en France, mais aussi en Italie (Alessandro
Manzoni, Giacomo Leopardi), en Espagne (José Zorilla y Moral)
et jusque dans les pays scandinaves (Oehlenschläger, Stagnelius).
Pour la première fois depuis l'humanisme de la Renaissance,
un mouvement intellectuel et artistique dépassait le cadre
national, mais cette fois pour des raisons très différentes
: en effet, l'unité de l'humanisme se fondait sur la participation
à un même univers, celui de la chrétienté,
et à un même savoir, issu de la redécouverte des
uvres antiques.
Rien de tel pour le romantisme, qui se fonda sur l'unité d'un
rejet : celui d'un monde « moderne », inspiré par
de douteuses valeurs politiques et commerciales, et pour lequel il
fallait inventer une nouvelle mythologie ou une autre culture.
Les humanistes étaient des savants ; les romantiques se voulurent
des prophètes.
En ce sens, ils s'opposaient aussi aux écrivains des Lumières,
qui se voulaient philosophes, même si l'on ne peut réduire
cette opposition à celle du « rationalisme triomphant
» et de la « sensibilité introspective et individualiste
», dans la mesure où la pensée des Lumières
accordait déjà une valeur nouvelle à l'individu
et de l'importance à l'émotion et à l'occulte.
L'originalité du romantisme tient surtout à ce qu'il
recherchait des solutions politiques et non sociales (résultat
de la Révolution française), et qu'il donnait à
l'écriture et à l'esthétique une position centrale,
jusque dans le « style de vie » (comme manière de
se différencier des « bourgeois »).
Malgré cette allure transnationale, les romantismes anglais,
allemand et français se différencient nettement.
En France, Schlegel, en même temps qu'il lançait le mot
« romantique », inventait son repoussoir, le « classique
». Ce fut bien cette opposition au « classicisme »
qui anima les débuts du romantisme en France.
Lancé en France par Mme de Staël (De l'Allemagne, 1813),
le terme « romantique » servit essentiellement à
la jeune génération de poètes et d'écrivains
à affirmer leur désir d'être de leur temps et
non plus tournés vers le passé et les traditions, même
si Chateaubriand, Lamartine et Vigny ont pu soutenir, au contraire
de Stendhal ou de Sainte-Beuve, la tradition monarchique française.
Le « romanticisme » de Stendhal (Racine et Shakespeare,
1823) ou la « modernité » de Baudelaire (le Peintre
de la vie moderne, 1863) n'affirmèrent pas autre chose que
cette volonté d'écrire au présent sur des sujets
du présent.
Si les romantismes allemands et anglais furent relativement limités
dans le temps, le romantisme français paraît s'étendre
depuis Chateaubriand jusqu'à Baudelaire et s'insinuer plus
largement dans les courants littéraires du temps.
L'acmé se situa néanmoins entre 1820 (Lamartine, les
Méditations) et 1843 (date de l'échec des Burgraves,
de Hugo), avec comme tournant la « bataille d'Hernani »
(1830).
L'originalité du romantisme français tint d'une part
à la position centrale du théâtre dans les revendications
des écrivains (la préface de Cromwell, 1827, où
Hugo prônait le rejet des règles de la tragédie
classique et l'union du grotesque et du sublime dans le drame, fut
tenue pour le manifeste du romantisme) ; d'autre part, au sentiment
d'ennui forcé (qui imprégna jusqu'à Baudelaire)
et au dandysme noir affichant à la fois mélancolie et
ironie. Le « mal du siècle » semblait le lot de la
génération romantique ; il trouvait sa source dans l'impression
qu'éprouvaient ses membres d'être des laissés-pour-compte
de l'aventure révolutionnaire, puis napoléonienne.
Plus encore que Hugo, qui, à force de tout dominer, sut se
couler sans mal dans les méandres de son époque, ce
fut Musset qui représenta de façon exemplaire le romantisme,
au moins parce qu'il s'en révéla le moins dupe (la Confession
d'un enfant du siècle, 1835-1836 ; Lettres de Dupuis et Cotonet,
1836) et qu'il laissa l'uvre théâtrale de loin
la plus originale. Il n'en reste pas moins qu'à l'instar des
romantismes allemands et anglais le romantisme français reposa
surtout sur la valorisation du mouvement lui-même (de là,
le choix du « sublime » comme figure exemplaire, et non
plus la « beauté » classique : le spectacle «
sublime » provoque à la fois angoisse et jouissance ;
il est ce qui met en mouvement et tire l'âme ou l'imagination
hors de ses limites, jusqu'à l'infini de la nature).
Si l'attention à la nature, surtout chez les romantiques français,
tourna au panthéisme et à un lyrisme parfois ampoulé,
elle fut aussi l'occasion de donner à la nature et au psychisme
individuel, présentés comme opposés, un fondement
commun, autour duquel gravitent tous les systèmes depuis le
XIXe siècle : la vie (le terme même de « biologie
», science du vivant, fut lancé par Lamarck dans les premières
années du XIXe siècle), dans la mesure où la
vie s'accorde exemplairement à la valorisation du mouvement.
Le
XXe siècle:
Après les divisions
de la fin du siècle, les Expositions universelles (1878, 1889,
1900) permirent à la République de « montrer son
plus beau profil ». La littérature voulut trouver une
nouvelle spiritualité (Paul Claudel), ou s'évader dans
le rêve (Alain-Fournier, le Grand Meaulnes).
C'est sur les fondements de ce refus du réalisme, entériné
par l'aventure intellectuelle et poétique de Paul Valéry,
que s'inscrivit la vraie rupture esthétique, spectaculaire
: la poésie de Guillaume Apollinaire libéra la versification
et les rythmes ; le roman, avec André Gide et surtout Marcel
Proust, réfléchit sa propre création, «
recherche » ici guidée par les « données immédiates
de la conscience » (Henri Bergson).
La Première Guerre mondiale précipita une nouvelle perception
du rapport entre l'art et la vie. Le mouvement Dada et son humour
nihiliste en fut le premier témoignage, avant la grande expérience
du surréalisme (premier Manifeste, 1924) : « changer la
vie » par le rêve fut bien, au départ, une entreprise
collective (autour d'André Breton, Paul Eluard, Louis Aragon,
Robert Desnos, Salvador Dalí).
Le roman ne connut pas de tels bouleversements : genre proliférant
dans l'entre-deux-guerres (roman-fleuve), il célébra
à sa manière la vie libre et violente (Colette, Jean
Giono), avant de devenir le lieu d'une interrogation morale et religieuse
(Georges Bernanos, François Mauriac), puis existentielle et
politique (André Malraux).
Mais c'est le Voyage au bout de la nuit (Louis Ferdinand Céline,
1932) qui créa la fracture esthétique et philosophique.
La Seconde Guerre mondiale, si elle n'interrompit pas la production,
dramatique en particulier (Jean Giraudoux, Jean-Paul Sartreentraîna
la littérature dans l'«ère du soupçon».
Le soupçon fut d'abord philosophique ; les existentialistes
fondèrent sur l'expérience de l'absurde une morale :
« engagée » pour Sartre, « révoltée
» pour Camus (l'Étranger, 1942). Mais le théâtre
des années cinquante, résolument désengagé,
mit en scène un absurde métaphysique (Eugène
Ionesco, Samuel Beckett, Jean Genet).
Dans les années soixante, le « nouveau roman » (Alain
Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute, Claude Simon), aventure
optique, parfois doublée d'une expérience cinématographique,
voulut rompre avec les techniques traditionnelles.
À partir de cette suspicion, c'est peut-être, pourtant,
un « nouveau romanesque » que fonde aujourd'hui une uvre
comme celle de Marguerite Duras.
La poésie, exaltation du haut langage avec Saint-John Perse,
est ensuite devenue, loin des mouvements et des écoles, «
mode de connaissance » avec René Char, et nouvelle tragédie
de l'être avec Antonin Artaud.
Dès lors, elle est une quête individuelle et ascétique
: des « choses » (Francis Ponge) ou de ce « lointain
intérieur » (Henri Michaux) que l'époque obscurcit
de ses images tonitruantes.
Alors que la vague structuraliste née en particulier autour
des écrivains et des critiques du groupe Tel Quel (Philippe
Sollers, Tzvetan Todorov, Julia Kristeva) transforme le champ littéraire
en un vaste terrain d'expérimentation, à la fin des
années soixante s'amorce une sorte de « révolution
» dont Belle du seigneur (1968), d'Albert Cohen, pourrait être
l'emblème.
On retrouvait là un romantisme à la fois poétique
et épique, d'une sensualité presque exacerbée.
Ce double mouvement d'une part, recherche quasi clinique des
formes ; d'autre part, retour à une certaine tradition
marque la littérature des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
Si la poésie se fait plus discrète, malgré sa
diversité (Jaccottet, Du Bouchet, Dupin, Bonnefoy), et si le
théâtre redécouvre les classiques ou privilégie
les valeurs sûres (François Billetdoux), à l'exception
de quelques nouveaux venus (Jean-Claude Grumberg, Valère Novarina),
le roman témoigne d'un grand foisonnement.
Tant dans les thématiques que dans les techniques narratives,
où se télescopent les influences les plus diverses (du
surréalisme au nouveau roman, en passant par les jeux savants
de l'Oulipo), l'heure est au métissage, à l'ouverture
: retour à l'histoire dans des fresques chatoyantes, désenclavement
du roman policier, qui renouvelle le genre romanesque dans son ensemble,
découverte d'auteurs étrangers qui ont choisi le français
comme langue littéraire (l'Argentin Hector Bianciotti, naturalisé
français, le Tchèque Milan Kundera, le Marocain Tahar
Ben Jelloun).
Des Antilles nombreux sont les écrivains qui donnent ses lettres
de noblesse à la « créolité ». Voyages
d'écrivains nomades (Jean-Marie Le Clézio, Olivier Rolin),
chroniques couleur sépia (Patrick Modiano, Jean Rouaud) ou
dérives urbaines sur rythmes syncopés (Philippe Djian)
élèvent le roman à un art du questionnement.